BI n°2 octobre 2025

Mange tes morts !

Lors du CSE du 1er octobre, un syndicat de l’éducation nationale, dont on taira le nom par charité, a déposé un amendement visant à changer le nom des vacances de la Toussaint et de Noël en respectivement vacances d’automne et vacances de fin d’année (amendement adopté par 44 voix contre 7, mais rejeté par le ministère). L’objectif de cette proposition de nouveau baptême ? Au nom de la sacro-sainte morale républicaine procéder à la laïcisation de ces appellations qui n’auraient pas « leur place sur le calendrier de l’école républicaine ».

Bon, nous ne sommes pas des fervents croyants en matière d’école de la république, on préférerait de loin une école véritablement au service du peuple. Mais ne pinaillons pas. Contentons-nous d’une critique gentille, constructive, et pas trop longue.

D’abord, on peut se demander quel est l’intérêt d’une telle proposition alors, que comme le reconnaît le syndicat en question « l’école a d’autres problèmes » (et il n’y a pas que l’école, pourrions-nous rajouter perfidement) ? Alors au-delà du ridicule évident (parce qu’après tout l’immense majorité des gens ordinaires s’en fout royalement et à juste titre : ce qui est bien le signe que la laïcisation ici réclamée existe déjà), on peut supposer qu’elle a juste pour but de camoufler, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs, le vide politique abyssal qui règne dans les structures syndicales, l’absence de toute véritable volonté de remise en question du système (on n’ira pas jusqu’à renversement, hein !) et l’absence de toute perspective et de tout véritable espoir d’une quelconque avancée pour les travailleurs. Quand il n’y a plus rien à gagner, faisons semblant ! Et puis même s’il n’y a plus rien à gagner, il y a au moins quelque chose à ne pas perdre ou à préserver : la structure syndicale elle-même qui doit bien justifier son existence. Nos camarades de l’Aquitaine, comme nous le rappelions dans notre dernier bulletin soulignaient déjà ce point au sujet de la loi EVARS.

Ensuite, on entend déjà nos oreilles siffler : « en critiquant cette proposition, vous vous mettez du côté de la droite rancie qui veut à tout prix défendre les racines religieuses de la France , du côté de l’UNI, de l’inénarrable Consigny, du binoclard à imper gestapiste Retailleau, des pseudo journaleux des media façon BFM et consorts, etc… ». On reconnaît bien là le formidable sens de la nuance qui caractérise nos « amis » progressistes, pour lesquels tout ce qui n’est pas en accord avec eux est nécessairement de droite, voire d’extrême droite ainsi que le suggérait un de nos lecteurs du précédent bulletin. Mais en définitive qui fait le jeu de cette droite ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt le syndicat qui a déposé l’amendement ? Est-ce que le fait de le déposer ne vise pas juste à agiter un chiffon rouge devant les yeux émerveillés des susnommés, qui n’attendaient que ça pour déclencher la polémique dont le Snuipp (ah zut on a oublié notre charité) a beau jeu dès lors de se plaindre en dénonçant « l’instrumentalisation lamentable » (les pauvres choux) de la proposition. En cette affaire, comme en bien d’autres, les auto-proclamés progressistes (on reviendra peut-être un autre jour sur cet effroi qui saisit une certaine gauche à l’idée de ne pas être du côté du Progrès) et les droitards s’entendent comme larrons en foire, en bipolarisant les débats, en mettant à l’ordre du jour (ne fût-ce que pour quelques heures) des questions qui ne sont pas des sujets pour la masse des gens ordinaires (oui, oui , on se répète) et en camouflant les vrais sujets, ceux qui fâchent, derrière un écran de fumée, le même dont nous parlions précédemment. Alors on ne fera pas l’injure aux permanents du Snuipp d’être naïfs et innocents lorsqu’ils font cette proposition et de ne pas savoir ce que ça va provoquer. Allez au moins ils ont sauvé leur structure, on parle d’elle , hourra !

Enfin (oui, on sait on n’a pas réussi à faire court), on ne peut que regretter cette fâcheuse tendance des progressistes, à reprendre cette méthode, déjà bien décrite par Orwell dans 1984, et qui consiste à changer autoritairement les mots pour espérer changer la réalité et les manières de penser. On ne doute pas que parfois cette méthode puisse avoir une certaine efficacité mais les rapports entre langue et pensée ou réalité sont un peu plus complexes que cela : il y a malgré tout une extériorité de la réalité et de la pensée qui souvent fait barrage, résiste et nous rappelle que tout n’est pas que discours. Changer les mots ne fait pas disparaître la réalité que les anciens mots désignaient (en témoignent les échec répétés de la novlangue de gauche comme de droite (ce n’est pas parce qu’on n’emploie plus le mot ouvrier qu’ils n’existent plus par exemple). D’autre part les usages résistent eux aussi également souvent (après tout on entend encore parler des vacances de Pâques) à cette entreprise de refondation de la langue. Et surtout cette entreprise ne vise rien d’autre, comme cela apparaît avec éclat dans le roman de Orwell, qu’ à une militarisation des esprits, à leur embrigadement au service d’une Vérité, dont seuls bien sûr sont dépositaires quelques guides éclairés. Cela seul devrait suffire à nous prévenir.

Allez c’est trop long, pour ce petit truc, mais, tout petit qu’il soit, il est assez symptomatique de l’époque et de certaines pratiques qui nous fatiguent.

Et pis non, s’il y avait une proposition qui pourrait vraiment rendre service aux travailleurs et à la Réééépublique, ce serait de transformer en jours fériés ou en vacances tous les jours de fête religieuse ou non, y compris bien sûr ceux qui ne correspondent pas à nos vénérables racines chrétiennes : l’Aïd el-Fitr, le 22 février (révolution de 48), l’Aïd el-Kébir, le nouvel an chinois, le 18 mars (début de la commune),El día de los muertos, etc… Quel joli syncrétisme en perspective ! Et ça nous ferait des vacances…

Chronique d’une mort annoncée

Tradition syndicale exige, nous sommes supposés faire un bilan du « mouvement » du 10 lancé au cours de l’été et annoncé en grande pompe avant même qu’il ne soit porté sur les fronts baptismaux (on entend déjà les esprits chagrins dire que ce n’est pas très laïc de parler comme ça, mais après tout il y a bien aussi des baptêmes rééééépublicains, non ?). Ah, le mouvement est déjà clos ? C’est tout comme.

Lançons-nous donc.

Bof.

On a tellement peu de chose à en dire qu’on ne sait pas par où commencer.

Dans le désordre.

Faut bien dire, certains d’entre-nous, esprits chagrins eux aussi, n’étaient pas très chauds (même si comme d’habituuude, on se disait qu’il fallait quand même y aller). Un truc qui se lance comme ça en espérant mimer la spontanéité du mouvement des gilets jaunes, ça part mal, surtout si dès le début on fait une purge pour virer les moutons noirs, en l’occurrence les réseaux de droite et d’extrême droite qui ont relayé l’appel au 10, et pour lesquels nous n’avons aucune sympathie (on le précise hein au cas on serait encore accusé de…). Donc très tôt ledit mouvement est repris en main par les militants professionnels de gauche et d’extrême gauche, supposés être les plus radicaux.

Ça fatigue déjà. Et ça suffit pour que cet appel ne séduise qu’une certaine frange sociale et culturelle de la population, et serve de repoussoir à la majorité. On est mauvaise langue, on a pu observer ici et là dans les manifestations des kinésithérapeutes et des infirmiers : pas le public habituel. On est injuste, il y avait aussi, notamment dans les blocages, quelques gilets jaunes, guère nombreux. Qu’on s’entende bien, notre propos n’est pas de critiquer ici le mouvement des gilets jaunes, mais ceux et celles qui, désespérant peut-être d’avoir raté le coche en 2018, ou de ne pas avoir réussi à mettre la main sur ce mouvement, se sont efforcés de l’imiter avec l’appel au 10. Il nous semble effectivement que la spontanéité n’a guère été au rendez-vous, non pas qu’on soit en adoration aveugle devant le spontanéisme révolutionnaire (on n’a pas plus de recette que les autres), mais mimer l’auto-organisation et la spontanéité tout en se positionnant en bonne place pour diriger, décider et organiser, voilà qui n’est pas notre tasse de thé. Et ça a eu l’effet prévisible : les masses n’étaient pas au rendez-vous (même si comme d’habitude on se rassure en se disant que ce n’est pas si mal).

Et puis bon un mouvement qui cause, qui cause, et qui cause surtout de lui et de ce qu’il va faire (vous allez voir ce que vous allez voir) avant même d’agir et de faire, ça sent la défaite tout de suite. Au moins, même encore une fois sans admiration aveugle pour le mouvement des gilets jaunes, ils ont d’abord fait, puis ils se sont mis à causer. Entre eux. Politique (pas politicaillerie), organisation, décisions.. C’est dans le bon sens.

Et on parle pas des mots d’ordre. Le mantra « bloquons tout » répété encore une fois à l’envie sans en avoir les moyens ( pour ne prendre qu’un exemple : 7h du matin dans la flotte, à 50-60 pour bloquer une rocade. Le niaiseux « Indignons-nous », reprise de l’original lui-même déjà bien falot. Et du vocabulaire, « vélofestation », « vélorution », qui masque le vide et témoigne bien du milieu social et culturel du public cible. Oui oui, indignons-nous et faisons la révolution en vélo ( et pourquoi pas électrique, hein ?). Tous les moyens sont bons certes, mais certains sont révélateurs. Et pis on n’est pas obligé d’être de bonne foi. On est juste chagrins.

Et pour finir (finalement on avait bien quelques trucs à dire), les organisations syndicales fidèles à elles-mêmes, lancent un appel, concurrent quoiqu’on en dise, au 18. Histoire de bien s’assurer que rien ne soit susceptible de se passer (on sait jamais, il pourrait y avoir un reste de spontanéité qui referait surface) et assurent qu’il ne s’agit pas du tout de renverser le gouvernement ou de déstabiliser le pays. Si avec ça, on n’avait pas compris, après concertation au plus haut niveau, l’intersyndicale annonce toute fière d’elle un appel au 2 octobre (la révolution c’est quand même pas urgent à ce point). Et surprise, il y avait moins de monde que le 18 !

Fermez le ban, circulez, y a plus rien à voir, la messe est dite (vraiment désolé on doit avoir une obsession malsaine pour les rites catholiques, promis on va se faire soigner).

Avec tout ça, ce qu’on peut peut-être conclure, c’est que la fracture (pas nouvelle) entre les milieux syndicaux et politiques traditionnels d’un côté et de l’autre, une certaine frange de la population qui a composé pour partie le mouvement des gilets jaunes (précaires, petits indépendants, auto-entrepreneurs, prolétariat rural etc…) reste grande ouverte. Qu’elle se referme au moins temporairement, que nos intérêts de classe finissent pas nous réunir, voilà qui serait la condition d’un véritable mouvement révolutionnaire. Mais comment faire ?

On s’en veut, on s’en veut, on voit tout en noir, mais on peut pas s’en empêcher. On continuera quand même à essayer d’en être, malgré tout, sans trop d’illusion . On sait où est notre place.

Ecrivez-nous, qu’ils disaient !

Au milieu de centaines de courriers de lecteurs et  trices enthousiasmé.e.s  par notre premier envoi, nous avons trouvé ça, émanant d’un certain F. :

Salut,

Franchement, faire votre com’ sur de la casse d’un des rares syndicats de l’éducation qui tienne la route, c’est tellement nul.

Créez votre identité et menez vos combats. Mais je pense qu’il y a plus important à faire que de taper sur un syndicat ami. Il y a des ennemis autrement plus oppresseurs.

Et mettre un poulet sur votre lettre d’info, référence au groupe LCD, multinationale de l’agro-industrie, au service d’actionnaires et d’un milliardaire, allumé à de nombreuses reprises pour maltraitance animale… Quelle image cherchez-vous à avoir ? Vous aussi vous voulez exploiter, maltraiter et enrichir des actionnaires ?

Vraiment. Faites votre deuil de SUD éduc’ et luttez ! Luttez partout ! Sur le terrain, dans les instances, dans la rue…

Mais si vous voulez faire votre fonds de commerce sur la casse de SUD, vous allez finir avec autant d’adhérent·es que l’OCL ou la CNT-AIT qui n’existent qu’à travers leurs critiques communes avec l’extrême droite de l’intersectionnalité (alias wokisme)… Une dizaine à l’échelle d’un pays.

Au plaisir de lutter sur des fronts communs.

Franchement F., c’est vraiment pasqu’on n’a rien aut’ chose à foutre, qu’on répond. Rien à foutre? Beh non, rien. Rien, vraiment? « Et la lutte, alors ? » En vrai, on t’a pas vraiment attendu pour ça , mais on n’aime pas bien ton impératif. Et puis, la lutte, genre FSU par exemple, ça a jamais vraiment été notre truc, le faire semblant non plus… Quant aux instances…

Bon, mon F., tu t’énerves, tu t’énerves, pi t’écris n’importe quoi. 

Et d’une, tu mélanges syndicat (sud, cnt-ait) et orga politique (OCL)…

Et de deux, s’il est vrai que nous étions en délicatesse avec ton syndicat préféré, en ce qui concerne notre identité, y’a belle lurette qu’on l’a trouvée. Comme le chantait Bashung, j’ai fait l’amour, j’ai fait le mort, t’étais pas né.e. Notre identité c’est celle qui a fait qu’à la fin des années 90, nous avons fondé Sud Éducation : l’autonomie des syndicats départementaux ou académiques, la libre circulation de l’information, le débat sans anathème, la lutte contre la hiérarchie, y compris syndicale, et donc un exécutif fédéral qui se contente d’exécuter, la lutte des classes, j’en passe et des meilleures… De cela, nous ne ferons jamais notre deuil. 

Et de trois, tu t’emmêles les Cristaux Liquides. LDC n’est pas LCD : LUTTE DE CLASSES. Il faut qu’on te l’épelle?

Pour ta gouverne, le plus gros syndicat SUD en Sarthe c’est SUD-LDC, et c’est le plus gros de la boîte, parce que les copains se bagarrent vraiment contre le patron. Et ils rigolent beaucoup de Sud Education.

On voudrait pas être désagréables, mais c’est têêêêêllement ( cékika bouffé une chêêêêêvre?) nul de laisser entendre qu’on est du côté de l’agro-industrie et des exploiteurs et qu’on fait fi de la souffrance animale. Bon désolé, c’est vrai qu’on n’est pas anti-spécistes, mais de là à dire qu’on veut enrichir les actionnaires….Par contre comme tu le suggères toi-même (c’est vraiment pas clair ce que tu racontes) on cracherait pas sur l’idée de les exploiter et de les maltraiter.

En tout cas, on doit pas rire des mêmes choses. T’as pas fini de faire la gueule, on a encore plein d’images de poulets.

Et pi, si tu n’as vu dans notre envoi que la casse de Sud Education, relis, tu verras, y’a autre chose.

Tu peux décréter que le syndicat en question tient la route. Nous pensons nous que, comme la Cadillac de l’Alabama dans la chanson de Neil Young, il a une roue sur la route et une roue dans le fossé. Et pour ce qui est de l’amitié, ben on t’avouera qu’on voit mal comment on peut être ami avec une orga, nous on se contente bêtement d’être amis avec des gens et parfois des camarades.

Quant à lutter sur des fronts communs, va falloir qu’on cherche et les fronts, et le commun… Tu comprendras donc que pour le plaisir, c’est un peu compromis.

Y’a pas d’plaisir , mais y’a d’la gêne, comme une inquiétude de te sentir si tendu.e. C’est ça que tu devrais faire, te détendre. Tu verras, ça ira mieux.

PS : aucun volatile n’a été maltraité pendant la rédaction de ce texte

BI n°1 juin 2025

LDC for ever SUR Lutte De Classes éducation Pays de la Loire ( Sur LDC éducation) est né en 2024 du départ […]