SUR Lutte De Classes éducation Pays de la Loire est né en 2024 du départ d’ancien-ne-s adhérent-es de SUD éducation Sarthe suite à de nombreux désaccords politiques avec ce qu’est devenu ce syndicat aussi bien au niveau départemental qu’au niveau fédéral, désaccords liés à un certain nombre de dysfonctionnements et dérives idéologiques.
Pourquoi sommes-nous partis exactement ?
Nous avions en effet par le passé adhéré à Sud éducation, ou contribué à le fonder, au nom de quelques principes qui nous semblent avoir été relégués au second plan.
Le principe de solidarité avec tous les salarié-es a été mis à mal par la focalisation sur certaines valeurs morales et « sociétales » (voir ici) qui ont relégué au second plan ce qui était pour nous le point central de la lutte syndicale, à savoir le conflit entre deux classes qui n’ont pas les mêmes intérêts. Cette focalisation reflète selon nous un entre soi typique des classes favorisées culturellement et socialement qui ont oublié quels étaient justement leurs réels intérêts et se sont coupées des classes dites « populaires » soupçonnées de ne pas partager ces valeurs.
Le principe d’unité à la base des salarié-es, précisément parce qu’ils appartiennent à cette classe qui n’a que sa force de travail pour survivre, et que c’est donc à eux et elles de choisir les modalités selon lesquelles défendre leur intérêt de classe, a été oublié au profit d’une unité d’appareil avec les autres organisations syndicales, principalement la CGT et la FSU. Cette unité de surface a été établie sur la question des valeurs, en renonçant à toute lutte réelle, et en s’alignant sur les positions des syndicats les moins combatifs (en témoigne la défaite préprogrammée de la fausse bataille de 2023 contre la dernière réforme des retraites). En fait d’unité, il est clair que Solidaires et Sud éducation ont surtout cherché à se normaliser et à être intégrés dans le champ syndical dit représentatif.
Le principe de démocratie a été remisé aux oubliettes au profit d’un fonctionnement de plus en plus bureaucratique et centralisé, à l’image de ce qui se pratique dans la majorité des autres organisations syndicales. Cette bureaucratisation s’est accompagnée, comme toute bureaucratisation, de l’impossibilité de tout questionnement critique ou de tout débat, du travestissement obstiné du réel (même quand on a perdu on a gagné : il ne faut pas désespérer Billancourt) face à toute tentative de questionner les stratégies décidées « en haut lieu », de l’absence de transparence, etc.
Avec d’autres camarades et d’autres syndicats issus également de Sud éducation nous avons donc fondé l’Union nationale des syndicats Lutte de Classes (U-LDC), à laquelle nous appartenons désormais.
Mais à quoi bon un syndicat de plus ?
Ne nous sommes-nous déjà pas trop dispersés pour pouvoir espérer remporter un quelconque combat ? Ne vaudrait-il pas mieux, comme au bon vieux temps un seul syndicat, de masse et ultra-majoritaire, ou à défaut l’unité des organisations syndicales ?
Nous n’y croyons pas et nous le répétons : l’unité des appareils syndicaux n’a jamais remplacé l’unité des travailleurs et n’a d’ailleurs jamais permis dans les 30 dernières années de remporter une seule véritable victoire.
Nous tentons donc à nouveau de recommencer, très modestement et à notre niveau, en tenant bon sur les principes mentionnés plus haut et sur quelques autres, parce que nous croyons qu’en leur absence toute véritable victoire est impossible ou se réduit à un trompe-l’œil.
D’abord on n’est pas là pour s’em…
Nous revendiquons l’usage de l’humour comme antidote au militantisme sacrificiel ainsi qu’à l’esprit de sérieux et d’efficacité qui règne dans les appareils syndicaux. L’humour est une arme qui désamorce l’idéologie, permet le recul critique, favorise le débat, nous permet de ne pas nous prendre pour ce que nous ne sommes pas – des « guides éclairés du peuple » par exemple. C’est aussi la condition indispensable pour mener des luttes joyeuses. Précisément parce que ceux et celles qui nous gouvernent et saccagent nos vies nous voudraient abattus et résignés, il nous faut au contraire leur faire la nique et user du pied de nez comme d’une arme de première catégorie.
Les copines et les copains d’abord !
Le corollaire de l’humour est l’amitié : il n’y a pas de lutte froide possible. Toute forme de combat politique ou syndical suscite et repose sur des affects, produit et nourrit des groupes d’affinités. Aucune idée politique ne plane dans le ciel épuré de la raison, mais bien au contraire se développe sur le terreau fertile et concret des affects. Si bien sûr nous aimons la camaraderie, nous détestons les « camarades » que l’on croise trop souvent dans les organisations syndicales : précisément des mauvais camarades, gonflé-es de sérieux, certain-es de posséder la vérité et prêt-es à excommunier en son nom des « camarades » qui ne marcheraient pas du bon pas. Parce que bien sûr à leurs yeux la vérité politique est au-delà de l’affect vulgaire et de la vraie camaraderie.
Paraîtrait qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ?
Nous ne confondons pas nécessairement les moyens et les fins, mais contrairement à une tendance courante dans les appareils politique et syndicaux déjà mentionnés, nous ne pensons pas non plus que les moyens sont neutres et que la fin les justifie. Même si cela peut sembler banal il faut rappeler que les moyens et les fins se déterminent réciproquement. Ainsi un fonctionnement non démocratique dans une organisation ne pourra jamais engendrer une société réellement démocratique, si tant est que cette organisation ait le pouvoir de peser sur la société. Nous considérons donc que la perspective la plus réaliste consiste à affirmer que ce qui compte avant tout est le fonctionnement dont nous décidons à l’intérieur d’une organisation : il participe en lui-même de la transformation de la réalité sociale à laquelle nous aspirons et il fait donc partie des finalités à viser. Toute autre considération est soit naïve, soit cynique et d’autant moins réaliste que dans tous les cas aucune organisation de « gauche » n’est à l’heure actuelle en position de transformer la société ou de remporter une victoire réellement significative dans la lutte pour la défense de nos intérêts de classe. Et l’histoire nous a appris à nous méfier des organisations qui ont réussi à prendre le pouvoir au nom d’un idéal politique tout en piétinant dans leur accès et leur maintien au pouvoir ce même idéal sous couvert de « pragmatisme », de « réalisme » ou « d’efficacité ».
Comment concrètement réussir à ne pas être efficace ?
Ainsi le fonctionnement que nous mettons en œuvre repose sur des principes simples : nous refusons toute hiérarchie dans notre syndicat comme dans la société. Il n’y a pas de chef ou d’expert chargé de décider pour les autres de la manière d’organiser une lutte ou de les éduquer, voire de les guider du haut de sa position. Les décisions se prennent en assemblée générale, et chaque fois que c’est possible au consensus, et à défaut par vote. Nous ne parlons pas ici d’une recherche du consensus pour le consensus et donc d’un consensus uniformisant qui étoufferait la discussion et interdirait toute parole libre ou divergente, mais d’un consensus qui se construit par le débat ouvert entre des positions initialement divergentes, qui n’est pas obtenu par renoncement mais qui se gagne grâce précisément au respect des divergences et à leur compréhension.
Contre tous les totems d’efficacité, de pragmatisme, de compétence ou d’expertise, nous revendiquons donc un syndicalisme artisanal et non bureaucratique. Et ce qui vaut dans les relations entre adhérents s’applique dans les relations avec les individus ou groupes extérieurs au syndicat : nous ne sommes pas là pour guider les autres vers une quelconque vérité ou pour les éduquer, ni pour diriger des luttes. Nous ne sommes pas là non plus pour lutter à la place des autres par une forme de délégation (on a vu le peu de succès des luttes par procuration ces dernières années). Nous ne sommes et ne souhaitons pas être plus compétents que des non-syndiqué-es parce que nous pensons qu’il n’y a pas non plus à défendre les salarié-es à leur place : le syndicat est précisément le lieu où des salarié-es se regroupent et s’organisent pour prendre en charge collectivement la défense de leurs droits et intérêts.
Un syndicats de profs, sérieux ?
Enfin en ce qui concerne le secteur professionnel qui est le nôtre, nous sommes attachés à la dimension inter catégorielle du syndicalisme : il n’y a pas que des enseignants dans l’éducation nationale, nous voulons lutter pour les conditions de travail, les droits et les intérêts de tous les personnels, sauf bien évidemment ceux et celles qui font partie de la hiérarchie.
Une bonne partie des enseignants a d’ailleurs tendance à oublier où est son véritable intérêt de classe et se représente comme ayant la mission sacrée de diriger les élèves vers un mieux-disant culturel en oubliant que l’école dite publique n’est, depuis sa naissance, rien d’autre qu’une école de l’état, et qui plus est, d’un état marchant main dans la main avec le marché. Par conséquent la fonction réelle de cette école est avant tout de faire du tri social, de reproduire, en son sein et entre les types d’enseignements, les hiérarchies qui existent déjà dans la société, de former des salarié-es exploitables et des citoyen-nes dociles qui ne remettent pas en question l’ordre établi. Nous pensons donc qu’au-delà de la défense de toutes les catégories de personnel, il nous faut replacer la lutte de classes dans l’éducation nationale, ce qui suppose que nous soyons clairement conscients de son rôle de reproduction sociale et de formatage de la jeunesse, et que nous ne défendions pas béatement l’école publique, même si bien sûr nous avons à nous défendre collectivement en tant que salarié-es.
Cela suppose aussi que nous sachions dépasser toute forme de corporatisme, et que, pour ceux et celles d’entre nous qui sont enseignant-es, nous soyons capables de ne pas nous adresser aux parents (qui pour l’essentiel font partie de la même classe que nous) du haut de la chaire professorale, de les prendre pour des enfants qu’il faudrait encore éduquer. Nous devons donc devenir conscient que nous défendons bien le même intérêt de classe.
Réintroduire la lutte de classes dans l’éducation nationale, cela veut aussi dire, promouvoir une culture du conflit, de la résistance, ou a minima de la méfiance envers l’état et la hiérarchie, en finir avec les fausses luttes, les journées traditionnelle de grève sans lendemain, le rituel de la manifestation pour la manifestation. Toutes ces pseudo luttes reposent sur le présupposé totalement dépassé et illusoire que le pouvoir voudra bien nous écouter et nous accorder quelques miettes. Ce temps-là du compromis entre classes est révolu et le dialogue social n’est qu’un écran de fumée visant à étouffer dans l’œuf toute forme de contestation. Personne ne détient le monopole de la vérité en ce qui concerne les bons moyens de lutter, et il n’y en a bien sûr pas qu’un seul, mais nous pensons que seule une opposition résolue et massive des salarié-es (et pas seulement de ceux et celles qui seraient les spécialistes de la lutte et à qui on pourrait la déléguer) est susceptible de permettre des victoires significatives.